De passage à Paris, j’ai eu l’immense plaisir de franchir la porte de la galerie Loo & Lou et découvrir le splendide travail de l’artiste française SylC, qui investit pour la première fois les murs de l’Atelier, avec l’exposition Reflet(s), présentée jusqu’au 2 mars 2024.

SylC – Reflet(s) XII, 2022 – Acrylique et pastel à l’huile sur toile, 130 x 195 cm – Photo : Géraldine Robin

Peintre, dessinatrice et sculptrice française, SylC donne ici à voir un panel d’œuvres diverses : des grands formats à l’acrylique et au pastel à l’huile, mais aussi des œuvres plus discrètes, mêlant ses médiums habituels auxquels s’associent fusain, crayons de couleur. On retrouve là ce qui fait l’essence même de son travail : des jeux de superpositions de lignes, de coloris, de signes, de motifs. Naissent alors des créatures composites, pourtant terriblement humaines et fragiles, faites de réminiscences, d’empreintes, de filigranes, de stigmates, qui frôlent les confins du rêve et de nos inconscients.

Car SylC, avec toute sa force évocatrice, joue avec nous. Sous ses œuvres vibrantes, solaires, colorées, délibérément vivantes, se meuvent des personnages énigmatiques, parfois inquiétants, souvent mélancoliques. Le reflet, ici dans une tâche d’acrylique, là dans une étendue d’eau, double alors ces fragments oniriques que nous saisissons à peine, ajoute à la dualité déjà présente dans les métaphores que l’artiste donne à voir. Doublon, alter-ego, écho, ombre, spectre. Ses personnages étranges, intemporels, aux allures de chimères infantiles, nous renvoient à nos souvenirs d’enfance, flous et distordus, à nos propres mondes intérieurs, nos rêves éthérés, tout en distillant juste ce qu’il faut de doute, de trouble et de flottement.

Reste alors un arrière-goût énigmatique, émanant de sous les glacis, les jeux de transparence, les coups de pinceau tantôt francs, tantôt fantomatiques ; reste donc, derrière cette candeur illusoire, une atmosphère tumultueuse, aussi complexe que l’esprit humain. Puisque oui, c’est là ce que représente SylC : une humanité psychique, nébuleuse, faite de pulsions, d’évocations déformées, de traces d’innocence enfouies, de ressentis enchevêtrés, d’obsessions, de facettes, de doubles. Ce double du reflet, ce double devenu fusionnel sur l’œuvre.

SylC – Reflet(s) V, 2022 – Acrylique et pastel à l’huile sur toile, 100×100 cm – Photo : Géraldine Robin

Les œuvres, faites d’hybridations saillantes et de douces anatomies, nous plongent alors dans l’ambivalence. Que faire de cet étrange imaginaire, ce bestiaire ambigu, qui s’impose à nous ? Comment recevoir ces bouts de corps qui se dédoublent, se chevauchent, se croisent, se fondent, se jouant de la réalité morphologique, nés de la transparence, de l’imperfection, de l’inachevé ? L’œil de l’observateur vacille. Flottement. Hésitation. L’esprit clair-obscur. Peut-être sommes nous là face à des créatures lumineuses, faites de liens, de fusions, de cohésions. Ou peut-être, cette chatoyante interdépendance vole-t-elle en éclats.

Demeurent ainsi des corps irréguliers, égarés dans une foisonnante nature, des individus composites isolés, contraints, empêchés, embarrassés par leur animalité, paralysés par le vide, le blanc, les contours trop flous. Quant à cette eau ou ces flaques d’acrylique, cette matière à miroirs, reste à deviner si elles mirent des reflets présents, luminescents, vivaces, ou de tristes esquisses, bâties sur le disparu, l’inanimé, le désenchantement. Le plein face au déserté, le vivant face aux spectres. Mais peut-être la question n’est-elle pas là. Peut-être, que ce que Slyc donne à voir se situe dans un ailleurs, temporel et psychique, qui s’amuse de nos certitudes, de notre penchant pour le palpable, de nos repères trop vite acquis, de nos consciences trop ardentes. Un autrement, à la fois proche, à la fois reculé.

SylC – Deep into the wild (II), 2021, acrylique et pastel à l’huile sur toile, 100 x 81cm – Photo : Géraldine Robin

Ambivalence expressionniste, esthétique de l’éclat, transcendance du fantasmatique, jeux du dedans et du dehors, dualité entre l’humain et l’animal, balance entre l’esquissé et le franc, goût pour l’inachevé pourtant complet, attrait pour le réalisme symboliste : les œuvres de SylC nous touchent, nous bouleversent, car elles deviennent, sous nos yeux, miroirs de l’âme, reflets de l’humain, et incarnent ainsi nos dimensions intimes, nos incertitudes sublimes, nos fragiles incandescences, nos vacillements merveilleux. Ces reflets, qu’elle nous offre, ce sont les nôtres.

  • Pour découvrir l’univers de l’artiste : sylc.org
  • Loo & Lou Gallery, 20 rue Notre-Dame de Nazareth, Paris 3e – www.looandlou.com